En 2024, la Gastronomie sauvera le monde !
Chez Biztronomy, nous pensons sincèrement que l’acte gastronomique consistant à se mettre à table, rapproche les idées et les identités ; nous sommes convaincus que de ce fait, la gastronomie permettra un jour d’atténuer les dissensions et les incompréhensions de ce monde.
Seulement, nous restons également convaincu que cette croyance est une direction et non pas une réalité immédiatement à portée de main. C’est un peu comme le communisme: le concept de danser à la ronde dans une herbe réchauffée par le soleil, mains dans la main avec des fleurs et des rires, est attrayant. Seulement, il y a la réalité brutale et rude, celle que découvrirent ces deux jeunes gens du jardin d’Eden, encore perclus de l’innocence enfantine, en croquant la pomme.
Dès lors se détachent trois profils. Ceux qui constatent que c’est une pomme et que dès lors où l’on y croque, elle va brunir et éventuellement pourrir. Ceux qui refusent de croire qu’ils ont croqué la pomme et qu’elle puisse mourir ; et enfin ceux qui veulent s’approprier la pomme, l’arbre et le jardin qui l’entoure.
Samuel Huntington avance que les états sont menés soit par les modérés soit par les radicaux ; et que tôt ou tard, ce sont les radicaux qui prennent le dessus, le temps de s'épuiser. Ceux qui veulent croire que la pomme reste intacte tout comme ceux qui pensent qu’elle leur revient toute entière sont donc en embuscade. Ce sont les radicaux.
Au vu des turbulences nationales internes et externes, de par le monde, il semble que les radicaux soient aux portes du système élaboré en 1945, déterminés à en découdre pour le remodeler et redistribuer le plan de table.
Nous voudrions donc croire, pour faire mentir Thucydides, que prendre le temps de s’asseoir à table, partager les saveurs et les paroles, apprendre à offrir et recevoir, suffirait à calmer les esprits et trouver des solutions constructives ?
Seulement, dès lors où, au sein d’un même pays cet acte de fraternité devient presque un blasphème, comment pouvons-nous espérer que la démarche se fasse avec plus d’aise entre nationalités différentes ? Sauf à se rappeler ce que disent les Anglais : Familiarity breeds contempt ou La Familiarité engendre le mépris. Ce qui permettrait de croire que nous serions en certaines circonstances plus ouverts aux inconnus. En attendant, la déconstruction en cours d’Érasme et de son livre De la Civilité Puérile n’est pas de très bon augure. Je vous invite à observer la tendance du Slogging consistant à porter le jogging indifféremment, que ce soit le dimanche devant la télé ou le jeudi soir dans un restaurant chic.
Les dirigeants du monde sont-ils plus à même de mettre en oeuvre les pratiques de la table pour tempérer les ardeurs identitaires et déployer des négociations raisonnées ? Il suffit de regarder Louis XIV, Napoléon ou Jacques Chirac pour concéder que la perception qu’a un dirigeant de son alimentation peut en dire long sur sa manière de diriger.
Le roi Soleil qui mangeait seul à table, avec ses doigts et entouré des sa cour, déclencha, imbu d’hubris, la guerre de succession d’Espagne qui dura 13 ans, saignant la France et l’Europe par la même occasion. Napoléon qui s’évertuait à expédier son repas comme ses hommes aurait, lui, mal à prétendre au prix Nobel de la paix. Ce cher Jacquot par contre, amateur de bière et de bonne chère, eut l’audace et le courage de s’opposer à une des plus grandes falsification de ce début de siècle(1) ! Dis-moi comment tu manges et je te dirai comment tu diriges.
Mais est-ce la faute des dirigeants ou est-ce qu’ils ne font que chevaucher les velléités de leurs peuples ? Une première génération accumule, la deuxième gère et la troisième dilapide. Cet axiome serait-il à mettre en parallèle avec celui de l’alternance des époques de plaisirs avec les périodes de contrition ; l’une portée par la joie de vivre, l’allégresse et l’insouciance, l’autre plombée par les justes, les sauveurs et les contrits ?
Alors, nous en serions à une convergence alliant la dilapidation de valeurs telles que la courtoisie ou l’écoute tout en étant condamné à ne point afficher le plaisir charnel et à cacher nos pensées hérétiques. La double peine !
Piètre perspective pour ceux qui croient en Saint-Brillat et Saint-Grimod ! Ce n’est pas ainsi que le monde se mettra à table pour apprendre à se découvrir, à vivre le présent même s’il n’exclut pas de penser à l’avenir - au lieu de faire l’inverse.
Néanmoins, une lueur nous pousse au dépassement. Le sublime de la table nous porte avec ses espoirs de saveurs innovantes, d’esprits épanouis et d’allégresse partagée. Nos dissertations et balades épicuriennes de 2023 nous en ont convaincu. Et c’est d’ailleurs en ces temps d’incertitude qu’il faut garder le cap et nourrir l’espoir.
Ainsi, après un semestre de découverte et d'embrigadement, Biztronomy va continuer en 2024 à vous apporter une perspective nouvelle sur la Gastronomie. Si les liens de la Gastronomie avec le business continuent à former le socle de notre démarche, nous allons faire des incursions dans d’autres domaines et mélanger de nouvelles saveurs.
Vous l’aurez deviné, nous aborderons dans les mois qui viennent la gastronomie sous l’angle des relations internationales, dans l’histoire et dans la diplomatie moderne. Nous tenterons de savoir par exemple, si le JRC de la Commission Européenne, en quête d’indicateurs et de signaux faibles, pourrait se fier aux comportements alimentaires pour anticiper les évènements dans le monde. Nous évoquerons les grands repas des princes, tout comme les petites tablées autour desquels les destins se jouent, le diable dans le détail.
Nous aborderons les travaux de Max Weber pour poser quelques éléments fondamentaux, voire structurels, nécessaires à la Gastronomie.
Nous poursuivrons également nos efforts pour trouver et célébrer les grands Gastronomes contemporains, avec comme mission de contrebalancer le déséquilibre entretenu par la prépondérance de l’image et des chefs, qui nous font oublier que la Gastronomie est autant un fruit de la pensée qu’une éloge du palais et de l’estomac.
Nous continuerons à faire grandir notre cercle de passionnés tout comme celui de nos contributeurs. D’autres initiatives verront également le jour en fonction des ressources et du temps disponible.
Pour conclure, cette année servira également de préparatifs au bicentenaire de la publication de la Physiologie du Goût, Missel s’il en est de la Gastronomie.
La Gastronomie est un héritage unique qui ne peut que nous élever. Dans l’immédiat, elle ne nous sauvera pas. Mais en attendant, il faut sauver la Gastronomie.
Bonne année 2024!
(1) Pour mes chers lecteurs américains, je suis disposé à en débattre autour d’un bon repas!
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