top of page

Everything you want to know about gastronomy but were afraid to ask ChatGPT

Photo du rédacteurPhilippe Cartau

Le Coq chante les pieds dans le ketchup


Examen à ma sauce du livre de Rick Fantasia, Gastronomie française à sauce américaine, édition du Seuil


Il n'y a rien de plus vendeur que la disparition imminente d'une personnalité ou d'un mythe. Annoncer que la France va perdre sa touche gastronomique en est un bon exemple et naturellement, pour quiconque se mêle émotionnellement de ce domaine, le livre de Rick Fantasia, French Gastronomy and the Magic of Americanism, ne peut qu'éveiller la curiosité, sinon la crainte de découvrir une vérité naissante ou, pire encore, un repas fade.


Je me suis donc plongé dans cet ouvrage pour découvrir cette perspective sur la chute potentielle de l'excellence gastronomique française. Comme le livre se concentre sur le lien entre l'industrialisation et l'artisanat culinaire, il est particulièrement pertinent pour Biztronomy, puisque l'objectif du cercle est de construire un lien entre les deux mondes.


Il est clair que je ne suis pas du tout d'accord avec la conclusion de Fantasia, sans parler de l'angle d'attaque et de son expérience passée en tant que syndicaliste qui n'ont peut-être pas aidé à distiller une perspective impartiale. Cependant, je recommande sa lecture car il peut servir d'excellent point de référence pour toute personne naviguant dans le secteur de la restauration ou de l'agro-industrie, et pour les amateurs de gastronomie afin de comprendre la proximité entre la haute cuisine et l'industrie. En effet, le livre est particulièrement bien documenté et donne à réfléchir, ne serait-ce qu'en raison d'un certain parti pris.


Il y a deux problèmes avec ce livre qui se transforme en un repas à cinq plats.


Le premier est la perspective limitée de Fantasia sur la gastronomie, principalement axée sur l'aspect culinaire. Ce n'est pas intentionnel, car en tant qu'universitaire, il doit se concentrer sur un domaine circonscrit. Mais parler de la cuisine sans parler de la salle à manger, c'est comme applaudir d'une seule main. Le vrai risque de nos jours est de tomber dans ce piège où nous ne parlons que des cuisiniers et trop peu des gourmets, des amphitryons ou des gastronomes.


Le deuxième problème est l'impression que le méchant capitalisme ronge les pieds de l'artisanat et que, tôt ou tard, il va tout engloutir. Ce que je trouve, et c'est une première impression, c'est que Fantasia manque de perspective historique et géographique. Le commerce et le raffinement ont toujours été de connivence. Le problème est de confondre les motivations de la demande et de l'offre. Les deux sont intrinsèquement liés, mais tant qu'il y a une demande avec de l'exigence, l'offre s'adapte.


En ce qui concerne l'esprit, commençons par les fondamentaux, les définitions. Il y a ce que j'appellerais un raccourci de la définition, ce que d'autres appelleraient un ingrédient industriel de congélation, où l'on donne à la gastronomie un profil essentiellement culinaire, en mettant de côté l'esprit qui est né notamment avec Brillat-Savarin en 1825.


La gastronomie est étroitement liée à la littérature puisque la prose de la première moitié du XIXe siècle expliquait dans un langage clair et accessible à un public de plus en plus nombreux que " Les animaux se nourrissent ; les hommes mangent : mais il n'y a que les sages qui connaissent l'art de manger ". "Aphorisme 2


Curieusement, Fantasia reconnaît l'importance de la littérature dans l'élaboration de la gastronomie, mais l'écarte ensuite en expliquant que cela réduirait la portée sociale de l'analyse (p.35). En effet, la gastronomie a à la fois une profondeur et une largeur, et j'ai l'impression que Fantasia a renoncé à la largeur pour se concentrer uniquement sur un " champ " que je perçois plutôt comme un silo.


Il explique que la force d'un domaine tel que la gastronomie peut être mesurée par son indépendance par rapport aux autres domaines, c'est-à-dire que nous ne devrions pas considérer la littérature dans cette étude, car la gastronomie est un domaine autonome. Mais tous les domaines ne sont-ils pas une combinaison de pratique et de littérature ? Peut-on sérieusement affirmer qu'un " domaine " existait avant l'invention de l'imprimerie ? Les critiques indignées de l'impressionnisme du XIXe siècle ont eu leur rôle à jouer, pour Manet et bien d'autres. Les idées et les domaines sont apparus notamment lorsque l'imprimerie a permis de diffuser les idées. Ainsi, la littérature devrait avoir un rôle clé dans la gastronomie, notamment pour faire contrepoids aux cuisiniers et à leurs critiques.


De plus, mettre de côté la littérature, c'est oublier qu'aujourd'hui, il existe dans la gastronomie une concurrence inégale entre l'esprit et la matière. Cela a beaucoup à voir avec la poussée technologique et notamment le fait que les smartphones sont omniprésents, tout comme les photos que l'on peut prendre avec. Certains des convives les plus expérimentés se souviennent-ils d'avoir apporté leur Polaroïd au restaurant dans les années 80 ?


La cuisine se prête beaucoup mieux au multimédia que l'esprit éthéré qui imprègne le repas gastronomique. La diffusion s'applique avec plus de facilité à la réalisation d'une recette succulente avec ses images brillantes ou ses vidéos pétillantes qu'aux méditations de Brillat-Savarin sur le plaisir de la table (Ch. 14, Ps. 72)*. Il y a des choses que l'on ne peut pas photographier, comme une conversation animée. Votre présence est nécessaire pour la comprendre.


Pire encore, si je puis me permettre une digression, certains gastronomes pensent qu'en prenant une photo pendant un dîner, vous aspirez toute l'âme du moment pour laisser une table mortifiée avec des zombies qui ingurgitent tout ce qu'on leur donne à manger. Dans ce cas, non seulement vous n'avez pas d'esprit, mais vous n'avez pas non plus de cuisine.


En revanche, la lecture, bien qu'elle ne soit pas aussi accessible que le fait de regarder passivement, transmet l'esprit avec beaucoup plus de force que les images, car notre imagination génère la participation. Nous savons tous que nous apprenons mieux ce que nous pratiquons que ce que nous entendons. De la même manière, notre participation à la lecture augmente notre conscience. Pensez à la madeleine de Proust.


Comme la lecture peut être considérée comme l'un des piliers et vecteurs de la gastronomie, avec ses nombreux écrivains, commentateurs, sanctificateurs, surtout jusqu'au milieu du 20ème siècle, on peut se demander si le vrai problème de la gastronomie n'est pas une influence disproportionnée de la matière par rapport à l'esprit. Alors que nous avions encore un festin équilibré jusqu'à la diffusion de masse, nous sommes aujourd'hui confrontés à ce que l'on appelle en France un Dahu, une race très rare de chèvre de montagne dont les pattes droites sont plus longues que les pattes gauches (il y a parfois des gauchers), ce qui permet à la malheureuse bête de faire le tour de la montagne avec aisance. Malheureusement, avec cette configuration, on ne peut aller que dans une seule direction.


Si je peux donner un conseil aux étrangers, si un Français vous invite à chasser le Dahu, déclinez l'invitation.


Revenons à nos moutons.


Au-delà de cet aspect pratique de la diffusion, qui est bien documenté dans Diffusion of Innovation de E. Rogers, à savoir la facilité, l'avantage, la démonstration, la visibilité et la compatibilité, il y a aussi la question du politiquement correct. Nombreux sont ceux qui considèrent la conversation d'un dîner comme un produit bien emballé, aussi aseptisé qu'un fromage pasteurisé, mais le dîner gastronomique est plutôt une séance de brainstorming, une zone franche pour Parlay, où les choses peuvent être dites sans indignation immédiate et réflexe. Car il faut savoir qu'on ne peut pas passer quatre heures à table sans parler, et inversement, on ne peut pas parler pendant des heures si le cérémonial et le dîner ne sont pas bien structurés. Ils vont de pair.


À titre de référence, le premier modèle décrit ci-dessus est un dîner banal, qui est bien et nécessaire, mais parfois un peu ennuyeux. Le second modèle est un bouquet de joyeux chaos délicatement canalisé par un processus souple mais solide. Et ceci est bien plus proche de la gastronomie que la plupart de ce que vous verrez aujourd'hui.


Par conséquent, pour évaluer la santé de la gastronomie française aujourd'hui, il ne suffit pas d'évaluer l'influence des entreprises agroalimentaires sur les chefs trois étoiles. Il faudrait comprendre la culture gastronomique des Français. Et c'est là que je suis inquiet.


Les Français sont des gourmets structurels, mais peu d'entre eux comprennent pourquoi, comme M. Jourdain qui fait de la prose. Une enquête que j'ai réalisée pour mon cours sur l'histoire de la gastronomie française a montré que très peu d'entre eux connaissaient les apôtres de la cuisine française, comme Grimod, Brillat, Curnonsky ou Escoffier. On pourrait éventuellement imaginer que la culture gastronomique s'est améliorée au cours des 200 dernières années, depuis la physiologie du goût, mais le problème est que l'ère numérique submerge l'esprit comme un éléphant sur une balançoire à bascule avec une fourmi en guise de contrepoids.


Les critiques culinaires d'aujourd'hui, dont beaucoup frôlent la gourmandise, n'ont absolument rien à voir avec Grimod. Ce premier vrai critique culinaire alliait esprit et finesse d'esprit dans ses commentaires sur les repas. Mais en cours de route, la verve a été séparée des étoiles et la première a été laissée de côté.


Laissons de côté la question de l'esprit pour nous intéresser à la matière, et plus particulièrement à l'influence mercantile. Pour rappel, les fast-foods existent depuis les Romains, les intérêts monétaires s'immiscent depuis des siècles dans les AOP ou appellations d'origine contrôlée, comme le Champagne, et la haute gastronomie est en collusion avec le pouvoir et l'argent depuis que les souverains utilisent les banquets pour asseoir leur influence.


Dans la Rome antique, on pouvait s'arrêter le long d'un thermopolium donnant directement sur le trottoir, commander un repas chaud, du pain avec de l'huile d'olive et des figues, et repartir.


La mortadelle de Bologne bénéficie depuis 1661 d'une loi protégeant sa fabrication, et le Reinheistgebot allemand datant de 1516, codifiant la fabrication de la bière, se situait lui aussi dans la zone grise entre protectionnisme mercantile et garantie de la qualité des produits.


Talleyrand au congrès de Vienne, les Rothschild à Paris et d'autres ont utilisé la gastronomie pour atteindre leurs objectifs, qu'ils soient politiques ou financiers. Avoir les meilleurs cuisiniers de Paris pour servir dans son "hôtel" privé et impressionner ses invités était un sport très vivant au début des années 1800. Escoffier s'adressait aux personnes aisées. Il les a peut-être flattés en donnant un nom à leurs plats préférés, comme la pêche Melba, mais il a toujours maintenu un niveau de qualité élevé.


Rick Fantasia craint que la collusion entre les chefs haut de gamme, qui représentent l'artisanat dans toute sa splendeur, et l'industrie alimentaire ne fasse s'écrouler l'ensemble de l'édifice gastronomique " jusqu'à menacer de faire éclater l'ensemble de l'édifice " §2p26.


Mais qu'avions-nous avant la Révolution française ? La truffe à tous les repas d'un côté et les restes de ragoût mélangés à un peu de lard pour le reste. Il est certain qu'à l'époque, l'artisanat ne risquait pas de rencontrer la production industrielle à grande échelle.


La conservation, la standardisation et l'organisation sont apparues avec des gens comme Nicolas Apert qui a inventé les conserves ou encore Escoffier qui a organisé ses équipes en brigades militaires.


La restauration rapide industrielle n'est pas tant un produit de l'américanisme qu'un produit de la modernité. La fabrication en grande série a permis de produire des aliments moins chers. Mais tous les fast-foods ne sont pas égaux. Le traditionnel sandwich " jambon-beurre " que vous trouverez en France est un fast-food, mais il est beaucoup plus frais et probablement plus sain que d'autres variantes de sandwichs.


Certes, la France est le premier marché étranger de McDonald's, mais en termes de ce que j'appelle les " sleazeburgers ", l'offre est limitée, sans commune mesure avec ce que l'on trouve aux États-Unis et ailleurs. McDonald's est bien plus un symbole qu'autre chose ici en France. Car une fois ce constat fait, les autres fast-foods de l'Hexagone peuvent se targuer d'un niveau de qualité supérieur. Prenez la Brioche Doré, ou La Mie Caline, ou Paul. Tous rationalisent, standardisent, etc., mais au final, livrent quelque chose de bien plus savoureux et de bien plus sain que des galettes surgelées.


La concurrence n'est donc pas entre un restaurant trois étoiles et un whopper, mais entre un jambon-beurre et le cheese burger. À cet égard, le déjeuner de midi conserve en France une certaine qualité, ne serait-ce que par le temps qui lui est consacré. Ce qui est remarquable, mais qui n'est pas mentionné par Rick Fantasia, c'est que cette même culture a probablement permis à la France de développer l'un des leaders mondiaux, Sodexo, dans le domaine de la restauration. Le temps et l'argent que les Français consacrent à manger à midi ont préparé le terrain pour l'émergence d'entreprises solides. En ce sens, la France est un écosystème idéal pour l'éclosion et la croissance de nouveautés culinaires.


Tout cela signifie que nous avons affaire à un spectre. Comme ce n'est pas tous les jours Noël, il faut quelque chose d'abordable et qui puisse servir de contraste. C'est alors que vous pourrez vraiment profiter d'une cuisine exquise. Cette excellente expérience va-t-elle disparaître parce que les chefs donnent leur nom à des plats surgelés ? Franchement, c'est difficile à dire, mais je ne le pense pas.


Ce qui est plus facile à démontrer, en revanche, c'est l'impact que les chefs français ont eu dans le monde entier en ouvrant des restaurants, à Londres, au Japon, aux États-Unis et ailleurs. Combien d'innombrables écoles de cuisine françaises ont ouvert sous leur nom et leur bannière ? Combien de millions de touristes ont afflué vers la France pour dépenser sans compter leur argent en cuisine et en sacs à main ?


Ce manque de recul est regrettable, d'autant plus que Fantasia propose un succulent cours 101 sur la segmentation du marché, qui montre précisément à quel point les Français ont réussi à couvrir les différents types de demande.


Le fait est que la gastronomie est un soft power, et qu'on ne peut pas s'en emparer en restant artisan. Il faut du cash et c'est peut-être ce qui a permis à la France de devancer l'Italie sur le trône de la gastronomie. Les 50 meilleurs aimeraient aussi prendre la barre avec leur podium hérétique, mais Michelin s'y accroche, peut-être grâce aux pneus.


Pour conclure ce copieux article, on pourrait dire qu'au contraire, les Français ont pris les ingrédients américains qui leur plaisent et les ont intégrés à leur propre sauce. Je recommande tout de même cette lecture à tous ceux qui s'intéressent à la question, car le livre stimule la réflexion et constitue un concentré abondant de sources provocantes.


Mais même si c'est difficile d'un point de vue académique, il faut intégrer le prisme de l'entreprise. La clé d'une gastronomie de haut niveau dépend aussi de la demande. Si le marché est exigeant, il y aura de l'excellence. En France, c'est en partie structurel, dû à la culture, et cela va durer. En ce qui concerne la partie savante de la gastronomie, il y a certainement beaucoup à faire.


En France, où il y a souvent un décalage entre les idées et la pratique, cet échange entre les chefs et l'industrie est une bonne chose. Il n'y a pas de rupture dans l'éventail des offres, et les créations éthérées peuvent se traduire par des plaisirs modestes au quotidien. Dans un pays qui se complaît dans les grands idéaux en oubliant le pragmatisme, ce continuum est salutaire.


Au contraire, l'entreprise et la gastronomie se soutiennent mutuellement et il faut continuer à le faire, en disant les choses clairement. Escoffier a été le premier à proposer la fabrication à la chaîne pour les nantis.


Les vrais gastronomes sauront faire la différence. Des institutions fortes telles que le guide Michelin maintiennent cette excellence. Et croyez-moi, si Michelin décidait de séparer le guide des pneus, le gouvernement français achèterait probablement l'entreprise en tant que patrimoine national, tout comme un tableau magnifique, en déboursant plus que ce qui serait offert pour la Joconde.


Il ne faut pas oublier non plus que l'arche sur laquelle repose le célèbre guide a été lancée dans un but commercial. Donc, oui, les affaires et la gastronomie vont de pair.



https://www.bbc.com/news/world-europe-55454717

6 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

Comments


Join the Biztro Club

For hearty, spicy, succulent, raw, acidic and tangy insight into Gastronomy

bottom of page