Biztronomy pour Boualem
- Philippe Cartau
- 7 mai
- 3 min de lecture
Si l’on aime la Gastronomie, c’est que l’on aime Boualem Sansal.
La Gastronomie, c’est avant tout la liberté d’expression car cet art de vivre offre le cadre idéal pour parler de tout et de rien. La question se pose même, la Gastronomie est-elle seulement possible en autocratie ou en oligarchie ? Car si l’on ne peut partager ses idées, comment peut-on partager son plaisir de la table ?
Ne l’oublions pas. Depuis Brillat-Savarin, la Gastronomie, c’est bien plus que de la cuisine : c’est un espace de partage d’idées autant que de mets. Quel que soit l’établissement, qu’il arbore des nappes blanches ou qu’il nous réconforte de Vichy rouge, l’on n’y trouvera point de Gastronomie si l’on ne peut y servir de l’esprit.
Car, cette matière intangible qui infuse l’art de faire bonne chère s’épanouit notamment dans la découverte de saveurs ou de concepts nouveaux, qui dérangent ou qui surprennent.
Notre raison se laisserait tenter par un argument limpide, sans transformation inopportune ? Que notre égo n’en prenne point ombrage, le temps du repas sera celui de la conciliation.
Une idée nous parait de mauvais goût, du fait d’une mauvaise expérience ou d’une présentation peu ragoutante? Laissons-nous la possibilité de découvrir et la patience de trancher. Car cette zone franche dans le temps entre l’apéro et le café est celle où l’on peut suspendre son jugement jusqu’à l’addition.
Certes, un effort de présentation s’impose. Certaines idées nécessitent un peu de marinade pour attendrir les chairs, une cuisson adaptée pour rompre des fibres trop indigestes. La fraicheur compte tout comme une présentation positive, sans aller jusqu’à travestir ou dévoyer ce que la nature et l’observation proposent en toute simplicité.
Pour aller plus loin, pratiquer la Gastronomie est un acte civique et politique. S’asseoir avec des individus pour partager un repas et ses vues du monde constitue le premier pas vers une république dynamique et saine. Offrir et recevoir nos différentes perceptions du monde marque le premier pas d’une synchronisation nécessaire et permanente de nos différentes interprétations du monde.
Seulement, dès lors où l’on refuse d’entendre une voix tout comme d’accepter un aliment à sa table, l’on saborde toute possibilité de s’aborder. Dès lors où l’on voue aux gémonies un individu pour ses opinions, où l’on anathématise un écrivain parce qu’il pointe l’index, l’on condamne sans défense ni jugement tout ce qui dans la pensée nous nourrit.
Celles et ceux qui diabolisent un aliment sans même y avoir gouté, par indigence évidente d’arguments, par hystérie sanitaire, ne font que créer l’amertume et ne méritent que le compost.
Certains voudraient voir l’humanité entière manger le même plat, ne supportant pas qu’un autre fasse à sa sauce. Ils voudraient que les recettes restes immuables, dictées par une cuisine centrale omnisciente et éternelle. Ils voudraient jeter les asperges avec l’eau de la cuisson.
Nous ne pouvons l’accepter.
Car du haut d’un repas gastronomique, trois mille ans nous contemplent, trois mille années d’une pièce montée d’une richesse inouïe et d’ingrédients nombreux et variés : d’une culture de la pensée, du goût du dialogue, de la sensibilité, de la découverte, du partage tout comme de la technicité et aussi de la science.
Nier la parole à Boualem Sansal, c’est jeter aux oubliettes les millénaires de découvertes qui ont menés au monde le plus prospère de toute l’histoire de l’humanité.
Sans liberté d’expression, plus de gastronomie. Sans gastronomie, point de civilité, encore moins de civilisation.
Libérons Boualem Sansal!
Philippe Cartau
Que Samsal reste en Algerie. Son incarceration est une affaire interieure algerienne. Ne nous en mellons pas .