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Red Wine

Biztronomy,

Une nouvelle façon de cuisiner le monde.

Biztronomy,

A new way of looking at business.

Biztronomy,

A new way of tasting ideas.

Business Ivresse

Chez Biztronomy, nous pensons que l'un des fondements de la Gastronomie est que, lorsque l'on partage un repas, on doit pouvoir parler de tout. Tous les sujets doivent se prêter à notre attention : nous devons tous chercher à goûter, ne serait-ce qu'une bouchée, à toutes les idées. En l'absence de cette volonté de s'ouvrir et de cette capacité à découvrir, la conversation est sans substance et nous retombons dans un consensus boiteux, pour ne pas dire une forme de censure douce. C'est pourquoi d'ailleurs que l'on peut se demander si la Gastronomie est possible dans les régimes autoritaires.


Couvrir tous les sujets est bien sûr un objectif qui ne sera que très partiellement atteint lors d'un dîner donné. Il s'agit plutôt d'un idéal pour lequel il faut être un alchimiste parfait ! C'est un exercice d'équilibre qui demande de l'art et de l'expérience, une dose d'esprit et beaucoup de second degré. De plus, cela incarne une aspiration qui ne correspond pas à des dîners plus formels où l'on se trouve en représentation.


En tout état de cause, la Biztronomy s'inscrit tout à fait dans la logique de la biStronomy, à savoir une quête sans fioritures excessives en mode bistrot new age où pratiquement tous les sujets peuvent être abordés.


L'ivresse dans le monde des affaires, c'est-à-dire l'état d'égarement joyeux dans lequel on se trouve lorsqu'on traite de sommes importantes, est un sujet brûlant. Pour nos lecteurs anglo-saxons, je conserverai le mot « ivresse », car les Français ont réussi à lui donner un sens qui va au-delà d'une sensation de chaleur sourde pour inclure un sentiment d'existentialisme joyeux, une arrogance temporaire et permise, combinée à des super pouvoirs tout à fait crédibles car ils refont le monde ! Certains, comme Alicia Dorey dans son récent essai À nos ivresses (1), identifient même des variantes de l'ivresse, telles que l'« Ivresse rouge », la blanche ou même la rosée, mais nous n'allons pas nous noyer aujourd'hui dans trop de détails.


Et à la Gastronomie!
Et à la Gastronomie!

C'est donc un sujet qui mérite réflexion, au même titre que d'autres, voire plus important car trop souvent honteusement occulté, et je vais m'appuyer sur le livre sanctifiant d'Alicia pour animer cet article.


Tout comme on peut se demander si la Gastronomie en tant qu'« art de vivre » aurait pu s'imposer sans le don du vin, le business sous ses multiples formes aurait-il pu émerger tel qu'il est aujourd'hui sans la douce lubrification de l'alcool ? Et, tout comme la Gastronomie est née de l'écriture en tant que domaine culturel, il est juste de faire appel à d'autres mots pour explorer ce sujet ambigu qu'est l'ivresse, notamment pour lui offrir la reconnaissance respectueuse qu'il mérite.


Je comprends que certains puissent se sentir micro-agressés par un tel sujet en raison de son caractère inflammable, mais tel est le sacrifice que nous devons rendre à la Gastronomie. Quiconque prétend que l'alcool et les affaires ne sont pas un sujet d'intérêt vit dans un état parallèle. Trop de souvenirs, dont les miens, peuvent attester de sa réalité et du marqueur culturel que constitue la bouteille. Le bon sens ne peut qu'être d'accord. Naviguer entre les défis des cultures nécessite nécessairement une forme de zone franche comportementale. En effet, il faut reconnaître la complexité multiculturelle sous ses différentes formes lorsqu'on fait des affaires à l'étranger.


L'expérience en témoigne. Mes années dans l'industrie des semi-conducteurs m'ont permis de faire des rencontres intéressantes avec l'eau-de-là dans les bars nocturnes de Taipei, en compagnie de prospects ; il faut savoir qu'à Taïwan, les verres ne se vident jamais. Dans le domaine ferroviaire, perdu dans le Midwest, dix ans d'hésitation ont finalement cédé avec quelques verres de vin rouge corsé. De nombreux contrats dans le domaine de l'aérospatiale ont été conclus lors de longs dîners parisiens ; d'autres encore, dans le secteur de l'éolien, ont été menés à termes après avoir enduré des séries de bières, vins, schnaps dans des Kneipe-Gasthaus allemands.


Certes, naviguer entre les deux n'est pas toujours facile et je peux attester que certaines opportunités ont pu passer sous le coup de circonstances hésitantes, voire chancelantes. Mais ce sujet ne peut être manichéen. Comme le déclare Alicia dans son livre, il s'agit avant tout "d'un refus, celui de faire un choix entre sobriété radicale et soupçons d'alcoolisme...". L'équilibre à trouver est celui de l'excellence, du dépassement de soi, de la navigation attentive entre les écueils des faux pas. Roger Scruton disait que la beauté est assiégée par deux cultes : celui de la laideur et celui de l'utilité. En ce sens, Beauté et Ivresse partagent le même destin.


Maintenant, clarifions immédiatement de quoi nous parlons. Comme nous l'avons vu dans notre précédent article sur la diplomatie, la question dans les relations commerciales est celle de la négociation et de l'objectif que nous nous sommes fixé. D'un côté du spectre, nous avons un jeu de pouvoir axé sur la position ; de l'autre, nous faisons preuve de créativité en tirant parti d'un partage d'information. Oublions immédiatement l'ivresse du côté positionnel du spectre : vous vous réveilleriez enveloppé dans un tonneau et pas plus sage que Diogène.


Nous nous concentrons donc sur le côté créatif des affaires. Comme le disait Platon, une grande découverte ne naît jamais sans vin. Il favorise notre capacité à découvrir de nouvelles perspectives, notre empathie pour comprendre la position de l'autre et notre capacité à nous extraire de la petite pièce sombre qui nous sert de cerveau. Mais comme le dit Alicia, dans la vie de tous les jours, « il est impossible d'échapper à soi-même ». C'est là qu'intervient le petit assistant du dîner.


Nous pouvons en fait développer cette idée et approfondir la notion de duplication de soi, appelée diversement doppelgänger ou fragmentation de soi. Personnellement, je préfère revenir à mon analogie quantique habituelle entre particule et onde. Sobre, particule. Éméché, onde. C'est comme les ordinateurs quantiques, dans une état parallèle, vous pourrez faire beaucoup plus. Pour dire, Alicia ajoute même : « L'ivresse ne s'embarrasse d'aucun paradoxe.»


Mais attention, l'objectif est la superposition ! Au-delà, c'est le trou noir interstellaire qui vous attend.


Pour que cette douce ivresse soit bénéfique dans le monde des affaires, en particulier à l'international, il est nécessaire de rechercher une forme de synchronisation. Alicia observe que ce n'est pas tant la quantité qui est scrutée, mais plutôt le moment. Je dirais même que la synchronisation est essentielle. Le vin au déjeuner est tout à fait acceptable en France, mais plus rare ailleurs. Les cocktails alcoolisés à 17 heures sont plutôt négligés au pays de Voltaire, mais courants en Amérique du Nord, tout comme la pinte en Angleterre, et notamment la Guinness chaude de Londres qui, à ce stade, ne se limite pas en quantité, surtout lorsqu'elle sert de dîner.


Notre auteure décrit d'ailleurs ce moment passé au pub avec une pointe de plaisir en racontant comment elle a «... aimé participer de loin à l’ivresse des autres, sur les tables voisines, à l’heure des afterworks où ces hommes en gris argent se dissolvent doucement dans leur bière mousseuse comme des cachets effervescents. »


Évidemment, pour éviter une accumulation de tendances culturelles, une forme de consensus sera nécessaire et conduira à une première négociation salutaire, celle de déterminer quand tout le monde peut se mettre d'accord pour lever son verre en harmonie. Ainsi, une petite négociation de comptoir préparera le terrain pour des enjeux beaucoup plus larges.


Maintenant, en ce qui concerne la Gastronomie, j'ai toujours pensé que le vin était le liquide le plus approprié. À des fins professionnelles, le vin conserve de solides avantages par rapport aux autres alcools. Un long repas nécessite de l'endurance et de la légèreté, ainsi qu'un minimum de lucidité. L'occupation gastrique démesurée et les ballonnements qui découlent de la consommation de bière limitent notre capacité à nous concentrer sur le repas et la conversation. Quant aux spiritueux forts, ils sont excessivement difficiles à supporter sur une longue période sans risquer de finir par danser sur la table. N'oublions pas que nous visons un résultat créatif, et non un effondrement dramatique.


En outre, il existe un paramètre insoupçonné qui doit être intégré dans les pratiques commerciales de longue date, à savoir la présence croissante des femmes dans le monde des affaires. Alicia Dorey aborde avec une grande franchise cette présence méconnue et les défis liés à cette inégalité flagrante devant un verre de vin. En général, les hommes sont capables de résister beaucoup plus longtemps et de consommer de plus grandes quantités. En ce sens, nous, les hommes, devons faire preuve d'un certain « savoir-vivre ».


Les règles de savoir-vivre modernes dans le monde des affaires devraient intégrer ces paramètres afin que personne ne soit privé de la participation ou de la présence que procure ce liquide magique qui devrait être accessible à tous. Je considère comme un grand exploit de l'Occident d'avoir atteint un niveau de confiance où hommes et femmes partagent une table commune ainsi que les joies de l'ivresse, sans remords ni réprobation. Le vrai gentleman moderne, si les circonstances l'exigent, déposera donc aux pieds de la légèreté sa veste afin que toute incongruité qui s'aviserait de se passer par là puisse être délicatement recouverte.


Le vin est donc tout particulièrement recommandé pour dissoudre tous les paradoxes et toutes les contradictions. De plus, il permet de viser des objectifs plus élevés sans s'enliser dans des détails à court terme. Alicia le confirme en exprimant «...la sensation que la recherche de l’ivresse intervient comme tentative ultime de faire cesser, quelques heures durant, le décompte infernal de nos existences d’experts-comptables.»


Mais pour approcher cette transcendance, nous avons encore besoin de coucher sur le papier nos observations du monde. L'épreuve controversée mais salvatrice qui consiste à trouver la voie vers des avantages mutuellement bénéfiques, dans les affaires comme dans le plaisir, exige la réflexion avant l'indignation, la découverte avant l'opprobre. La navigation par ces méandres trouve sa meilleure boussole dans la révélation de l'écrit où des domaines encore inconnus peuvent trouver la lumière vivifiante du progrès. C'est ainsi qu'est née la Gastronomie.


Tout comme des écrivains tels que Grimod de la Reynière et Brillat-Savarin ont donné à travers leurs textes une âme au repas, il semble nécessaire de donner une âme, une mesure et une histoire aux alcools du monde et à ceux qui les célèbrent. Bien sûr, cela a déjà été fait sous de multiples formes. Mais dans un monde parfois excessivement enclin au politiquement correct, cette solution aux paradoxes et à d'autres nœuds gordiens doit être constamment dotée de nouvelle lettre de noblesse, d'autant plus qu'il s'agit de l'essence de la Gastronomie, qui sans le vin serait comme un jour sans soleil (Brillat-Savarin).


Alicia y parvient extrêmement bien dans son texte, qui n'a pas encore été traduit en anglais. Mais si vous lisez le coréen, l'espagnol ou l'italien, vous devriez pouvoir savourer chaque mot de ce livre rafraîchissant dans un avenir proche. Son texte se lit comme un Côte du Rhône bien rond, avec des notes de fraîcheur qui rappellent un Pinot de la Loire, parfois des arômes d'un vignoble californien ou un léger parfum torréfié du soleil argentin. Sa sincérité rappelle les vins naturels qu'elle affectionne, mais avec un vieillissement minimal qui donne des lignes qui coulent sans la sensation d'un jus trop vert, mais sans non plus un excès de fût qui laisse la bouche pâteuse de sciures et de souvenirs désuets.


Pour conclure, on peut dire que le livre d'Alicia nous rappelle que rien n'est noir ou blanc, que les affaires, la Gastronomie et toutes les autres formes de partage social impliquent un équilibre qui ne peut se satisfaire de positions extrêmes. Écrire, lire et partager autour d'un vin finement élaboré reste l'un des meilleurs moyens d'atteindre une conscience commune.


Philippe Cartau


Texte original en anglais


(1) À nos ivresses, Alicia Dorey, Flammarion 2023


 
 
 

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