La gastronomie ! C’est une chose trop sérieuse pour la confier aux cuisiniers.
Ainsi, parmi les projets que porte Biztronomy, le Gastrodor pour récompenser les plus grands gastronomes, ceux dont la verve, le verbe et la passion permettent de faire transcender la matière en poussières d’étoiles, propres à conserver et disséminer pendant des lustres, longtemps après que l’humanité ne se soit évaporé, la marque de cette apothéose cosmique qu’est la table.
Car la table, son raffinement, ses plats, ses conversations et les états de transcendance où il lui est permis de nous porter, est réellement une apogée galactique, récemment confirmé par une nouvelle loi scientifique pour décrire l’évolution de la complexité et pour servir de balancier aux lois trop dilapidantes et lapidaire de l’entropie.
Mais revenons à nos moutons et nos navarins. Dans la démarche du Gastrodor, il nous importe d’avoir plusieurs perspectives : celle de l’amphitryon évidement, celui du convive, tout comme celui de la voisine de table, ce sont les principaux témoins, ceux qui se sentiront transportés en la présence réjouissante de cet énergumène des plus inspirants.
Mais aussi faudrait-il sonder l’avis de ces professionnels de la bouche, qui forts d’un savoir oscillant entre l’artisanat et l’art, sont en première ligne pour discerner ceux qui savent reconnaître l’effort.
Nous nous sommes donc mis en tête de questionner l’une des chefs les plus réputés de la place toulousaine, afin de recueillir son avis sur la question. Nous tairons son nom car notre mission justement, est de combattre la Gastrolâtrie pour promouvoir celles et ceux qui savent apprécier.
Au-delà de l’objet de la rencontre, accordée avec beaucoup de générosité car l’heure matinale est à la préparation et ce jour en particulier ne s’y prêtait pas particulièrement - un second qui ne se présente pas ou le poisson livré qui n’est pas à la hauteur, nous ne le saurons pas - l’échange fut autrement très riche.
Expliquant la mission que se donnait Biztronomy, notre chef étoilé concordait que l’éducation était essentielle. Il en prenait pour témoin de porc noir de Bigorre qui, retiré de son contexte perd un peu de sa saveur. Certes, me disais-je, l’explication du serveur - ou la narratrice comme certains s’appellent maintenant - lors de la présentation du plat est appréciée, mais c’est comme les sous-titre à l’opéra, on y perd une part de l’intégrité de l’expérience. Peut-être faudrait-il réfléchir à se préparer à un repas comme l’on s’éduquerait sur un opéra avant de s’y rendre.
Ce chef enchainait en évoquant un rêve, celui de voir l’enseignement de son art à l’école ; pas nécessairement toutes les techniques et les savoirs afférents, mais assez pour sensibiliser à la quête gustative et à la complexité du geste. Je m’enthousiasmais, renchérissant que moi-même je berçais l’espoir de voir l’histoire de la gastronomie enseignée, évoquant Vattel pour illustrer les luttes de pouvoir de Louis XIV, Carême pour cerner la diplomatie, notamment au congrès de Vienne, ou Grimod pour mettre en lumière la charnière entre l’Ancien Régime et la nouvelle république des Gastronomes!
Lui demandant comment nous pourrions élever ce champs et le porter à de nouveaux sommets les gourmets de ce monde, il rappelait que le goût était une question d’éducation, qui se commençait dès le plus jeune âge. Les efforts liés à la Semaine du Goût ne semblaient pas le convaincre, cette initiative semblait plutôt en perte de vitesse d’après lui. Or, comme je l’explique dans un article à venir sur le chocolat Étiquable, le goût est un vecteur essentiel pour toutes les initiatives liées à l’amélioration sociétale et environnementale. Un producteur de fèves de cacao bien rémunéré offrira un bon produit tout en préservant la qualité de ses terres! Il faut donc éduquer au goût!
La pédagogie fut encore le thème lorsque nous parlions d’une intervention qu’il fit pour un constructeur local d’avions. Le repas de 20h impose de savoir travailler avec des contraintes de délai de premier ordre : ventre affamé pousse des dents ! Comment pouvait-on transposer ce savoir de la cuisine aux équipes de maintenance ? Quels ingrédients utilisait-il pour fédérer son équipe vers la flexibilité tout en préservant la qualité ? Là se trouvait l’ambition séminale de Biztronomy ! Se servir de la gastronomie pour illustrer le business, que ce soit la P.I. avec Nicolas Appert, l’organisation avec Auguste Escoffier ou le marketing avec le guide Michelin de 1900.
Je ne pouvais que me délecter de l’entendre ainsi renchérir et nous renforcer dans les convictions et valeurs portées par l’équipe de Biztronomy. Seulement, il ne s’arrêta pas là, évoquant dans la foulée les valeurs de la gastronomie que l’on pouvait transmettre aux entreprises. Nous ne les avons pas balayées, mais il se retrouvera sûrement dans quelques unes de celles portées par Biztronomy. Bref, j’étais aux anges, peut-être plus repus et envouté que si j’avais mangé à sa table. Ses paroles me suffisaient.
Nous parvînmes même à évoquer le sujet de l’entretien, à savoir quels sont ces qualités qu’un chef réputé pourrait espérer de la part de ses clients. Je ne cacherai pas ma joie en vous affirmant que sa réponse se retrouvait dans la version « beta » de notre Gastrodor, caché dans les critères que nous avions déjà identifiés. A la bonne heure, la plume et la toque se rejoignent! Nous vous laissons donc le soin de découvrir ces critères, de nous en soumettre d’autres s’il ou mieux encore, un candidat ou une candidate au titre de Gastrodor!
Cependant, s’il était une qualité qui s’élevait au-dessus de la mêlée de ses paroles riches en enseignements, ce serait celle du savoir-offrir, notamment des compliments. Il avait évoqué avec tant de tripes cette récurrence que je sens que c’est par là que nous, modestes âmes gastronomes en perpétuelle progression, devrions commencer pour devenir de vrais gastrodors. Il évoquait presque avec stupeur, certainement incompréhension, ces clients le complimentant s’extasiant, félicitant, le remerciant lui et l’équipe, de l’excellence, que dis-je, de la perfection du restaurant, pour conclure comme s’il fallait qu’un repas ne soit jamais trop grand, d’un « mais » ravageurs. Tels des maestros en herbe ils procédaient à un rapt en bonne et due forme de tous les efforts de la soirée, se les appropriant dans une apothéose finale d’un « mais » fluet.
S’il est une leçon que je retiens, c’est qu’offrir ne doit jamais être conditionnel, que ce soit un compliment ou le temps qu’on accorde. L’art culinaire consiste notamment à séparer les saveurs pour ne pas les noyer les unes dans les autres. Ainsi le sucré et le salé, dans une large mesure, font très bien bande à part. Ainsi, si l’on veut offrir un compliment, offrons le sans réserve. La reconnaissance du travail bien fait nourrit le cuisinier comme nul autre aliment. N’allons pas le gâcher avec une mauvaise cuisson ou son brin de sel. Si l’on tient tant que cela à faire une remarque, devenons critique gastronomique!

Images par Dall.E, prompt "A lion king eating in a nice restaurant with a chef offering him a trophy, Cézanne style."
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